Jean-Marc, alias Père Noël LXIX, sirote son chocolat chaud dans la quiétude de sa petite maison en bois, récemment rénovée pour améliorer significativement son isolation. Cet hiver est nettement moins pénible, et même les lutins et les rennes ont bénéficié des aides du gouvernement. Toute l’isolation à 1 €, pensez-vous !

Le calme est si reposant, si agréable, après tout le retard qu’ils ont pris ces dernières années à cause des problèmes d’approvisionnement. Le covid n’a pas aidé. Quand le lutin en chef de la chaîne de production des jouets traditionnels s’est mis à tousser, toute l’usine a été placée en isolement préventif sur ordre du médecin du travail.

Attends, comment ça le calme ? Jean-Marc tend l’oreille. A cette période de l’année, les lutins travaillent en 3×8. Les machines tournent à plein régime, ce n’est jamais calme. Il y a certainement un problème. Jean-Marc pose brutalement son bol de chocolat, éclaboussant la toile cirée. Georgette va râler, mais tant pis, rien n’est plus important que la livraison des cadeaux.

Il enfile rapidement son épaisse veste polaire rouge et blanche, ses bottes à crampons, ses moufles fourrées, traverse en courant la grande clairière et atteint la porte de l’usine principale. Le silence est assourdissant. Il fait coulisser la porte et se retrouve face à une armée de lutins visiblement très énervés.

Biba, la vieille syndicaliste, le jauge avec un regard mauvais, avant de placer un sifflet entre ses lèvres. Elle siffle. Mais qu’est-ce que tout cela veut…

« En grève ! hurlent les lutins à l’unisson. En grève ! En grève ! En grève !

— Mais… mais… mais… balbutie Jean-Marc. Et les enfants ? »

A nouveau, Biba siffle. Elle croise les bras, bien droite du haut de ses 80 cm, et déclare de sa petite voix aigrelette :

« Nous exigeons des hausses de salaire pour faire face à l’augmentation du prix de l’énergie !

— Mais… mais… mais… C’est moi qui paie les factures d’électricité !

— Augmentés ou en grève ! Augmentés ou en grève ! Augmentés ou en grève ! »