« Alors, Papi, gronde la massive Georgette, on discute ? »
Même s’il prétend toujours que c’est lui le patron, Jean-Marc sait bien que c’est la Mère Noël qui fait Noël. On peut envisager Noël sans cadeaux, sans foie gras, sans sapin, et même avec le covid, mais on ne peut pas envisager Noël sans un chocolat chaud. Et les chocolats chauds, c’est le domaine réservé de Georgette. Jean-Marc repense à son bol qui refroidit sur la table de la cuisine et soupire. Puisqu’il le faut…
Il suit les lutins négociateurs jusqu’à la salle de repos. Là aussi, c’est lui qui l’a installée, pour que les lutins ait un espace pour faire une pause, boire un chocolat, manger un biscuit à la cannelle… Bon, d’accord ! C’était pour entretenir la cohésion de l’entreprise et avoir une bonne image auprès des enfants. Bien traiter les rennes, bien traiter les lutins. Mais quand même, les lutins ont un espace pour faire une pause, boire un chocolat, manger un biscuit à la cannelle. Est-ce que ça compte, pourquoi il a installé la salle de repos ?
Jean-Marc essaie de caser ses larges fesses sur un des fauteuils minuscules destinés aux lutins, et finit par rapprocher deux chaises. Un par un, sous la surveillance de Biba la syndicaliste, ils récitent leurs revendications :
– augmentation de salaire de 10 % ;
– baisse du nombre d’heures de travail à 6 heures par jour, 4 jours par semaine, aux heures d’école ;
– augmentation du nombre de semaines de congés de 5 à 7 semaines ;
– retraite à 55 ans.
« Nous ne reprendrons pas le travail avant d’avoir obtenu gain de cause, déclare solennellement Biba.
— Et que diriez-vous qu’on négocie juste après Noël ? suggère Jean-Marc. Vous ne voudriez pas décevoir les enfants, n’est-ce pas ?
— Si les enfants sont déçus, réplique un jeune elfe dont Jean-Marc a oublié le nom, ce sera votre faute. C’est vous qui refusez de nous donner des conditions de travail convenables.
— Je comprends vos revendications, mais il faut comprendre que ça ne dépend pas que de moi. Moi, je veux bien augmenter vos salaires, baisser vos heures de travail ou vous donner plus de vacances… mais qui va payer ? Tout ça, ça coûte de l’argent. Il faudra que j’augmente le prix des jouets, et les enfants qui en ont le plus besoin seront des laissés pour compte. »
Un faux dilemme. Bien joué, mon vieux, se félicite-t-il intérieurement. La vérité, c’est que s’ils se mettaient d’accord sur la moitié des revendications, le coût serait résiduel. Ça coûte bien plus cher d’avoir un lutin en arrêt maladie suite à un burn-out qu’un lutin mieux payé et qui travaille un peu moins. Mais ça, est-ce qu’ils ont vraiment besoin de le savoir ?
« Ce que je vous propose, c’est une prime de Noël de 500 € pour tout le monde dès maintenant et une semaine de congés payés après Noël, si vous reprenez le travail d’ici une heure. Et vous désignez un groupe de travail pour réfléchir sur une augmentation globale, les horaires, les congés, la retraite, tout ce que vous voulez, et faire une proposition qui ne lésera pas les enfants. Si la proposition n’implique aucune augmentation du prix des jouets, je m’engage à l’adopter. »
Biba le jauge avec suspicion. Jean-Marc se fabrique un visage de Père Noël, franc et jovial. C’est difficile de suspecter un Père Noël d’être sournois. La vérité, c’est que cette promesse ne l’engage pas à grand-chose : ils n’ont aucune chance de trouver. Les matières premières, le transport, tout augmente. Il prévoit d’ailleurs d’augmenter le prix des jouets de 5 % à 10 % pour Noël 2023, avec une nouvelle gamme pour les enfants de familles moins aisées.
Avec sa proposition, il est gagnant dans tous les cas. Si le groupe de travail trouve, tant mieux, il aura fait travailler les autres à trouver des solutions, en passant en plus pour le gentil. Si le groupe de travail ne trouve pas, il augmentera les prix et aura une bonne raison de refuser.
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