Poulet-en-chef s’appelle Damien. Il n’a pas de tatouage, par respect pour son arrière-grand-père, communiste, déporté peu de temps avant la fin de la guerre. Absent juste assez longtemps pour rater la naissance et les premiers pas de sa fille. Il n’a jamais gardé une copine assez longtemps pour faire un gosse, mais a vécu avec son ex pendant deux ans, puis il y a eu le confinement et elle est partie. Ce sont ses mots.
Il n’aime pas le foot, lit un ou deux romans par an, préfère la randonnée au ski, même l’hiver, fait de la musculation une heure par jour, 3 heures ses jours de repos, n’a jamais mis les pieds au Louvre, ni sur la tour Eiffel, ni dans une exposition portant sur Guillaume Apollinaire. D’ailleurs, avant que je lui propose, il ne savait même pas qui était Guillaume Apollinaire, mais pour m’impressionner, il a fait des recherches… Ça, je l’ai deviné.
J’ai pris mon appareil photo. Je cadre sur Damien, tourne lentement la molette de mise au point de mon objectif, voit mon contrat et ma cliente déambulant tranquillement au-dessus de son épaule. Il est effectivement un peu déboussolé et elle le tient fermement. Dans un coin de ma tête, je note ses pas mal assurés. Peut-être une chute. J’actionne l’autofocus, Damien redevient net, j’appuie sur le déclencheur.
Elle me montre sa photo de moi, où j’ai l’air stupide. Face à elle, qui lit de la poésie, je me sens stupide. Je suis peut-être bon quand il s’agit de respecter à la lettre la procédure, d’éplucher des listes d’appels et des rapports de légiste, mais pour le reste… Je me demande ce qu’elle me trouve.
Elle se penche avec intérêt sur un manuscrit des Calligrammes, m’explique je sais pas trop quoi à propos de poésie et de formes et de la révolution littéraire que ça représente. Je hoche la tête en espérant qu’elle ne me demandera pas mon avis. Elle rougit, marmonne, un peu gênée :
« Désolée. Il m’arrive de m’emballer quand il est question de littérature. Je vois bien que ça ne vous intéresse pas. Vous voulez qu’on aille ailleurs ? »
J’irais bien chez elle, je suis sûr qu’elle a une immense bibliothèque avec ces livres chers, me souviens plus leur nom, ceux avec la couverture dorée. Rien à voir avec mon studio que ma sœur qualifie de « fonctionnel ». A la pensée d’être chez elle, de mes mains sur sa peau douce, je me sens durcir. Putain, Damien ! t’as plus 15 ans ! arrête tes conneries ! Je lui réponds que non, ça serait dommage qu’elle ne puisse pas finir l’expo à cause de moi.
Quand elle glisse une main à mon bras, mon jean me serre les parties. Bon, bon, bon. Au cas où ça vous aurait échappé, elle me plait. Vraiment. Je me laisse guider dans les allées et écoute poliment tout ce qu’elle me raconte, même si je suis plus axé sur la gestion de mon érection que sur la poésie. Chacun son niveau, hein.
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