Ça fait dix-huit mois que je sors avec Damien. Je suis allée plusieurs fois dans sa Normandie natale pour rencontrer ses parents, des gens très ordinaires qui m’adorent. Il m’a convaincue de lui présenter ma mère à Noël prochain. Il traîne souvent dans ma bibliothèque et a même un double des clés de mon appartement – il ne sait pas pour mon bureau.
Je connais bien ses collègues, ceux qui traquent Mika, ceux qui me traquent moi. Depuis l’article, Mika se fait oublier. Je ne fais plus dans le spectacle, j’ai arrêté de me moquer de Damien et l’enquête piétine. Ils ont eu d’autres affaires, le dossier Mika est peu à peu tombé dans le fond d’un tiroir.
Ce soir, il m’a invitée au restaurant. Je l’écoute d’une oreille distraite me dire des mots doux, je finalise le plan Pierre-Louis. Le nouveau mec (violent) de ma mère. Après mure réflexion, j’ai décidé de m’en débarrasser définitivement. J’ai prévu de le faire disparaître de la surface de la terre, en m’assurant que personne ne s’en rende compte avant des mois. Tant pis pour Poulet-en-chef et les éventuelles conclusions qu’il n’en tirera pas.
« Camille ? Est-ce que tout va bien ? Qu’est-ce que tu en penses ? »
Oups.
Tout est prêt. Ce soir, je lui demande. J’ai prévu le resto, le champagne dans son frigo, et j’ai même sorti une chemise repassée. D’après les collègues, j’en fais un peu trop, mais voilà, cette fille me rend dingo. Il y a sa carapace de douceur, de sourires, d’intelligence, de culture, ce qui m’a séduit, et toutes les épreuves si sombres qu’elles a traversées, ce que j’ai fini par apprendre au travers de ses silences et des demi-réponses.
C’est plus fort que moi, j’ai envie de la protéger de la noirceur du monde et de lui en offrir toute la beauté. J’ai envie de lui préparer son thé vert chaque matin, de faire les courses pour lui acheter ces biscuits aux amandes dont elle raffole, de faire des pâtes trop cuites pour elle le soir, de la regarder lire au lit, planquer son bouquin sous son oreiller, abandonner des livres un peu partout dans notre appartement. J’ai envie d’être dans sa vie au quotidien.
« Camille, ça fait un moment qu’on se connaît, tu sais que je t’aime plus que tout. J’aime la façon dont tu fronces les sourcils en lisant des polars, la façon dont tu retrousses ton nez en goûtant ce que tu cuisines, la façon que tu as de me regarder comme si tu perçais tous les secrets que je cache. J’aime que tu abandonnes des livres dans tous les coins, que tu me reproches de ronfler quand je bois de la bière, j’aime tes tisanes magiques et ton flan au caramel. Mais ce que j’aimerais par-dessus tout, c’est pouvoir vivre ça avec toi, chaque jour, chaque matin… J’aimerais, si tu es d’accord, qu’on vive ensemble. »
Son regard s’assombrit, comme parfois, surtout quand elle pense à son père. Peut-être qu’elle vit seule parce qu’elle a trop peur de vivre avec quelqu’un qui lui fera du mal. On n’en a jamais parlé. On n’a jamais parlé de nos projets de vie. J’ai essayé, plusieurs fois, mais j’ai eu des réponses du genre « tu veux à nouveau du flan ? » ou « et si on allait au cinéma ce week-end ? ».
« Camille ? Est-ce que tout va bien ? Qu’est-ce que tu en penses ?
— J’en pense que c’est une bonne idée, répond-elle après un silence. Tu veux faire ça quand ? »
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