Je m’appelle Valentin de Saint-Amour. Je sais. Ça devrait être illégal de donner un nom pareil à un enfant, mais que voulez-vous, mes parents ont le sens de la formule. Ma mère surtout. L’idée était de crier sur tous les toits que je suis un enfant de l’amour, le grand, le vrai. Enfin, c’était surtout destiné à mes grands-parents paternels, qui n’ont jamais complètement digéré la mésalliance.
Du côté de mon père, c’est assez prout-prout, du genre où tu viens chapeautée à un mariage et où l’université c’est l’école des pauvres. Mes grands-parents ont un hôtel particulier à Vincennes. Rien que ça. Un hôtel particulier. C’est là que mon père a rencontré ma mère. Cette histoire, je l’ai entendue environ 300 millions de fois.
Ma mère était étudiante en lettres à la Sorbonne, et comme ses parents à elle sont normaux (entendez par là qu’ils ont des verres à moutarde pour les enfants), elle travaillait comme femme de ménage chez mes grands-parents paternels, contre un petit salaire et une chambre de bonne minuscule.
Un jour où son évier/lavabo/douche d’appoint était (encore) bouché, mon père s’est improvisé plombier, ils ont fait connaissance. Ils ont fini par appeler un vrai plombier, mon père ayant appris sur le tard la différence entre un tournevis cruciforme et une clé multifonction.
C’est ainsi que je suis né. Premier d’une fratrie de trois, les jumelles étant arrivées six ans après moi. Depuis, ma mère se partage entre un lycée de Seine-Saint-Denis, parce qu’elle préfère gérer des ados que des parents, et les romances qu’elle écrit avec une cadence moyenne de deux par an. Mon père, lui, a mis à profit son école de commerce très sélective pour devenir fonctionnaire à la répression des fraudes, et accessoirement s’auto-proclamer mouton noir de la famille De Saint-Amour.
Et moi dans tout ça ? Je déteste l’amour. Je déteste cette société pour qui on ne peut pas être seul et heureux. Parce que c’est mon cas. Je suis seul et, en ce jour de fête, je suis particulièrement heureux de ne pas participer à cette mascarade.
Il paraît que, quand un enfant grandit entouré d’amour, il prend exemple. Mon cul, oui. Moi, j’ai surtout grandi écrasé. Et puis soyons honnêtes : si les gens s’aimaient vraiment, ils n’attendraient pas le 14 février de chaque année pour se le dire. Ils se le diraient tous les jours, à chaque minute, comme mes parents. La Saint-Valentin, c’est plus du business. C’est l’art d’emballer les disputes, les futurs divorces et les sourires pincés sous des confettis roses et des roses rouges, histoire de vendre des repas dégueulasses à un prix indécent.
Mes parents adorent. C’est d’ailleurs pour ça que je me fais payer pour garder les jumelles. Vingt euros d’habitude, trente le 14 février. Business is business, hein. Ces petites teignes vont sûrement m’imposer un de leurs classiques, Love actually, The Holiday ou Pretty Woman. J’espère juste que j’échapperai à la trilogie de Cinquante nuances. Une trilogie, putain, si ça c’est pas du sadomasochisme !
C’était au programme, l’année dernière, mais comme c’était un peu trop sexuel pour leurs onze ans, je leur avais extorqué cinq euros chacune pour ne pas les vendre aux parents. Business is business.
Oh non. Je viens de les entendre faire des messes basses de l’autre côté de la cloison, et le mot « Bridgerton » a été prononcé. C’est officiel : ça va vraiment être ma fête aujourd’hui.
Votre commentaire