Hortense Merisier

Blog d'écriture quotidienne

#163 Ma façon d’écrire


Lorsque vous me lisez, vous voyez le produit fini : un texte court, certes, mais structuré, au style agréable, au rythme régulier, fluide, quelquefois drôle, quelquefois poignant, exempt de fautes (en général) et à la mise en page impeccable. Un produit fini, donc. Mais au risque de vous décevoir, personne ne fabrique un produit fini du premier coup. Moi pas plus que les autres.

Mais avec le temps, j’ai appris que je passe toujours plus ou moins par les mêmes étapes. Ce sont les miennes. Elles ne valent donc que pour moi. Si vous voulez, en tant qu’écrivain, savoir comment vous arrivez à un produit fini, je ne peux que vous recommander d’écrire beaucoup (en allant jusqu’au produit fini). A un moment, vous verrez un schéma se répéter : c’est votre méthode.

L’idée

La première étape, que tous les écrivains connaissent, est l’idée. En général, quand on commence à écrire, on pense qu’on peut écrire un roman sur n’importe quelle idée. Ce qui est complètement faux. Certaines idées se prêtent plus ou moins à certaines longueurs de textes, la plupart ne sont pas viables et aucune ne l’est en l’état.

Prenez « Mika », mon thriller amoureux : telle que je l’ai envisagée au début, l’histoire n’était pas viable. Avec des modifications, de fond, de forme, de personnages, de détails, l’histoire est suffisamment dense pour un ou plusieurs romans. Un peu dans le même style que L’accro du shopping, je pourrai m’arrêter au premier ou en écrire autant que je veux, sans compter les préquels.

Dans tous les cas, je teste mon idée sur environ 10 %. Au dixième de l’histoire, je vois se dessiner la suite. Avec cette vision globale, je sais si je vais droit dans le mur ou si mon idée a du potentiel. La grande, l’écrasante majorité des idées que je teste sont bonnes à jeter, purement et simplement. Quelques unes méritent que je m’y penche d’un peu plus près. Et dans tous les cas, je n’écris jamais sur une idée toute seule.

La préparation

Une fois que j’ai trouvé une idée prometteuse, je la développe. Le développement sera plus ou moins long selon ce que je veux faire, mais une idée développée pour une vraie histoire (disons, a minima, une nouvelle) a plusieurs qualités.

D’abord, mes personnages sont vivants. Ils existent et vivent leur propre vie dans ma tête, sans avoir besoin de mon aide. J’ai aussi trouvé ce que j’appelle leur ambivalence   leur qualité et leur défaut diamétralement opposés. Camille est une fille douce, discrète, intelligente, mais elle est tueuse à gages à ses heures perdues. Damien est accro à l’adrénaline tout en rêvant d’une vie calme et ordinaire. La mère de Rose est écartelée entre sa volonté d’aller mieux et sa peur d’oublier Rose. Cette ambivalence est ce qui les rend humains (autrement dit, crédibles).

Ensuite, j’ai au minimum une trame narrative. Là, je distingue la trame de l’histoire, qui n’existe que dans ma tête, et la façon de la raconter. Je m’assure que je sais dans quel ordre je vais raconter l’histoire, ce que je vais détailler et ce que je vais passer sous silence. Je l’écris noir sur blanc, même si mes notes n’auraient aucun sens pour vous. Il m’arrive, par la suite, de m’en éloigner un peu, mais la structure narrative est une condition pour passer à la suite.

Enfin, j’ai réglé la question du point de vue, du narrateur et du temps. Des questions largement sous-estimées, mais pourtant fondamentales. L’histoire ne sera pas la même selon qu’elle est racontée par un personnage, par plusieurs, par un narrateur extérieur. L’histoire ne sera pas la même selon qu’elle est racontée au passé ou au présent. Si une histoire est racontée au passé par un personnage, ce personnage devient de facto immortel : il a survécu puisqu’il raconte l’histoire !

Je ne sais pas si tous les auteurs préparent leurs histoires. Moi oui – moins ici, puisque je les teste. La seule fois où j’ai zappé l’étape de préparation, pour une nouvelle de science-fiction, j’ai passé plus de temps à reprendre cette étape à la correction que pour tout le reste réuni. J’ai même failli faire la préparation et tout réécrire depuis le début, tellement l’épreuve me paraissait insurmontable.

Les allers-retours du premier jet

Ensuite, j’écris. J’avance d’un bloc, j’en efface la moitié, j’avance à nouveau, j’efface une partie, et ainsi de suite. Je peux réécrire le même passage, le même paragraphe, la même scène, le même chapitre, un nombre illimité de fois. Je ne m’arrête que lorsque ce que j’écris est cohérent avec ce qui précède et ce qui est prévu ensuite. D’où l’intérêt d’avoir une trame globale.

Je fais ça quelle que soit la longueur ou le sujet du texte. C’est un peu comme si je me promenais, à l’aveugle, dans une ville que je ne connais pas, avec seulement quelques points de repères. Je sais plus ou moins où je veux aller, mais selon les rues que je prends, selon qu’elles sont bien droites, en cul-de-sac ou qu’elles tournent sur elles-mêmes, je m’éloigne ou je me rapproche de mon objectif.

Pour les romans et les textes longs, j’ai en partie trouvé un contournement à ce problème. J’écris des couches successives. Première couche : les scènes les plus importantes, celles qui fondent le roman. Deuxième couche : les autres scènes utiles. Troisième couche : les scènes de lien, les scènes mineures, les descriptions longues, etc. Quatrième couche : les descriptions courtes. Ça me permet d’avoir un texte « solide » car construit comme une maison : les murs, puis les fenêtres et le toit, puis les cloisons et l’électricité/plomberie, puis la décoration intérieure.

Cette étape est la plus longue. Oui, écrire prend du temps. Les bons jours, je peux écrire jusqu’à 1000 mots par heure, mais les mauvais… Il m’est arrivé de bloquer 10 jours de suite sur le même paragraphe, que j’ai écrit des dizaines de fois. Donc, quand vous avez sous les yeux un texte de 300 mots (en moyenne), j’y ai théoriquement passé… entre 20 minutes et 3 jours (au-delà, je passe à autre chose, je dois quand même produire un texte par jour).

Les élagages & réécritures

Vient le moment terrible de me relire et de corriger. En général, sur les incohérences, il n’y a que peu de corrections à faire. D’abord, j’ai une excellente mémoire, ce qui fait que je me souviens très clairement de tous les détails que j’ai insérés. Même si j’ai oublié le nom d’un personnage secondaire, je sais approximativement où je l’ai écrit et je le retrouve facilement. Ensuite, j’ai bien préparé mon histoire, ce qui joue un rôle indéniable dans la cohérence de mon texte.

Cela dit, ça ne m’empêche pas d’écrire régulièrement des pages et des pages qui n’ont aucun intérêt (ou des paragraphes et des paragraphes sur ce blog), parfois des chapitres entiers, tout en ayant oublié des scènes indispensables à la logique interne du texte. Je supprime sans état d’âme les premiers et écris sans plus d’état d’âme les seconds.

L’élagage en lui-même (et la réécriture d’autre chose) me fait généralement changer environ un tiers du texte. Quelle que soit sa longueur, et alors que j’ai généralement écrit déjà deux fois mon texte avec mes allers-retours, je réécris un tiers de ce que je comptais garder.

Est-ce que ça me fait mal ? Au début, oui, je l’admets : je me rendais moi-même compte que ces morceaux supprimés ou ces oublis étaient consternants, et ça me faisait chier de réécrire encore un truc que j’avais déjà réécrit, souvent plusieurs fois, au cours de mon premier jet.

Maintenant, ça me rassure. Ça me rassure de voir que j’ai encore l’honnêteté de me dire à moi-même : « Ma pauvre Hortense, ce passage-là ne sert à rien, cet autre est plus soporifique que l’annuaire, et comment ça se fait que tu aies oublié cette scène-là ? » Ça me rassure parce qu’aussi longtemps que je verrai tout ce que j’écris de merdique, j’aurai la possibilité de l’effacer et de reprendre à zéro. Tout le monde écrit (au moins un peu) de la merde, mais l’admettre est un énorme avantage.

Bref, j’efface et je recommence.

Les corrections

La première chose que je corrige est le style et la mélodie. Même pour un texte narratif, la mélodie des mots est très importante. A moins de m’être trompée, j’évite d’utiliser les synonymes, parce qu’aucun mot n’est tout à fait l’équivalent d’un autre. Lorsque deux synonymes parfaits existent, chacun finit par se spécialiser avec sa propre connotation et ses propres références.

C’est aussi là que je soigne le parler particulier de chaque personnage, en fonction de son propre background. Selon la longueur et la complexité, je vais faire une seule correction globale, ou plusieurs corrections spécialisées : une correction pour la narration, puis une correction par personnage. Personnage s’entend ici au sens large : certains lieux ou certaines situations ont à mes yeux le statut de quasi-personnages.

Cette étape (ou ces étapes, dans le cas d’un texte long) se finit souvent par la reformulation de certains passages qui ne cadrent pas avec le reste.

Je finis toujours par une avant-dernière relecture, avec des corrections stylistiques mineures, pour lisser le texte et lui donner une cohérence globale.

Je suis quelqu’un qui fait très peu de fautes, y compris au premier jet. C’est donc à ce moment-là que je fais les corrections orthographiques ou grammaticales qui ont pu échapper à ma vigilance au cours des x corrections précédentes.

La dernière relecture vise à valider le texte en l’état.

La présentation

Pour mon blog (comme pour un autre texte), je passe à la dernière étape, qui est la présentation. Car non, un texte écrit, réécrit, corrigé et exempt de fautes n’est pas pour autant un texte présentable. Il est juste achevé.

Sur mon blog, il va s’agir d’insérer toutes les espaces (féminin, lorsque l’espace est un signe de ponctuation) insécables et à largeur fixe, de vérifier que les tirets sont de bonne longueur et que l’ensemble du texte est justifié, de bien catégoriser le texte, de lui adjoindre les étiquettes adéquates et le bon permalien, de programmer le jour et l’heure.

Pour un texte à destination de tiers, on va rajouter la question des veuves et des orphelines, de l’éventuelle numérotation des pages, de la génération d’un PDF ou d’un ebook, etc.

Je relis une dernière fois tout le texte – imaginons qu’un accord m’ait échappé – et là c’est bon, je souffle.

En conclusion

Lorsque vous avez un produit fini de 300 mots, j’ai écrit beaucoup plus de 300 mots. Sans même compter les textes qui partent à la poubelle sans autre forme de procès, j’ai au moins écrit 600 mots au premier jet et 100 mots à la réécriture. Ce qui représente, avec les corrections stylistiques, la mise en page et le reste, environ une heure d’écriture.

C’est ce que j’écris tous les jours. Le minimum, quand tout va bien. Sans compter tous les autres projets sur lesquels je travaille en parallèle.

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