« Chérie ? Qu’est-ce que tu fais là ? »
Ce que je fais sur le seuil de la chambre de Rose, restée intacte ? Je regarde. Je pense à elle. A tous ces petits objets inertes qui ne s’usent pas, ne se cassent pas, des objets sans vie et sans rire d’enfant. Je pense au silence de la maison, aux repas où nous n’osons plus rire. Je pense au pilulier où m’attend ma dose quotidienne de bonheur chimique. Je pense à Matthieu qui fait consciencieusement le ménage dans cette chambre tous les mardis, pendant que je suis chez le psy. Je pense à ces vies gâchées qu’il faut continuer, pourtant. Pour Rose, pour Matthieu, pour moi aussi.
« Je pense… Je pense qu’on devrait refaire la chambre. »
Matthieu hoche la tête et me prend dans ses bras. Lui aussi a perdu Rose, et il m’a perdue moi aussi dans la foulée. Pourtant, il ne m’a jamais rien reproché. Jamais, pas une fois. Il aurait eu des raisons de le faire, il aurait eu des raisons de me quitter. J’ai tué notre fille par mon inattention et je l’ai laissé tomber, mais il est là, chaque matin, à vérifier que je prends mes cachets, et chaque soir à me serrer contre lui le temps que je m’endorme.
« Je sais pas si j’y arriverai… », m’avoue-t-il, la voix brisée.
Je sais qu’à cause de moi, il a enterré son chagrin sous une tonne de béton, dans une boîte cadenassée serré pour avoir la force de me soutenir. Je suis une mère affreuse et une épouse horrible. Et comme femme, comme être humain, je suis à peine plus qu’un fantôme. Il faut que j’avance, pourtant. Pour Rose, pour Matthieu, pour moi aussi.
Je le prends pas la main, inspire et entre dans la chambre pour la première fois depuis mon crime. La moquette douce au sol, le soleil qui filtre doucement par la fenêtre. Sa petite couette avec des pandas. Ses poupées, alignées sur la commode. Une étagère de livres d’enfants, au niveau du sol. Quelques boîtes en plastique remplies de jouets. Pour la première fois, je ne vois plus ces objets comme des vestiges d’une vie perdue, mais comme des objets.
« Pas toi tout seul. Nous deux. Ensemble. »
Pour Rose, pour Matthieu, pour moi aussi.
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