Hortense Merisier

Blog d'écriture quotidienne

#186 Contrebande (1)


« Alors ? Tu l’as trouvé ?

— Ouais. »

La femme tend la main pour attraper l’objet de contrebande et le feuillette avec une moue réprobatrice, puis sort un briquet de sa poche et fait apparaître une belle flamme dorée de 17 mm. Le criminel, à genoux sur le carrelage de sa cuisine, le visage tuméfié et les mains attachées dans le dos, la supplie de ne pas faire ça.

« Faire quoi ? »

Elle avise une bouteille d’huile de tournesol posée sur le buffet, jette l’objet par terre et le recouvre d’une couche d’huile. Puis elle referme le briquet, éteignant la flamme.

« Tu crois que je vais utiliser mon briquet ? Un authentique Zippo d’avant la Chute ? T’es encore plus cinglé que le jour où t’as cru que tu échapperais à la police. Amal ? Trouve-moi des allumettes, du combustible et brûle la baraque. Il en planque sûrement d’autres ailleurs. Toi, on t’emmène. On va voir si t’as encore envie de te rebeller après la rééducation. »

Les policiers s’activent. La femme, cheffe de groupe de l’unité anti-contrebande, jette un dernier regard à l’objet couvert d’huile avant de traîner son suspect dehors. Avant, elle aimait lire, elle aussi, mais ça la détournait de la vérité. Ils ont eu raison de l’interdire, c’est la porte ouverte à tout et n’importe quoi. Surtout n’importe quoi, quand on voit que ce taré lisait du Voltaire.

Voltaire, s’il vous plaît ! Bande de traîtres. Avant, ça se serait réglé d’une balle dans la tête, mais bon, on est civilisés, maintenant. Les experts de la rééducation font des merveilles. A ce jour, la durée moyenne de rééducation totale est de neuf semaines, avec un record inégalé de huit mois et treize jours. Ensuite, ça vous fait des petits ouvriers vraiment très dociles.

Quel gain d’argent et d’énergie, tout de même. Deux ou trois mois de rééducation, et tous les petits délinquants et grands criminels qui rentrent dans le rang, au lieu de vivre aux frais de la princesse dans des prisons où ils sont logés, nourris et blanchis aux frais des honnêtes citoyens. Ensuite, ça a été le tour de tous ces intellectuels prout-prout, et maintenant ces indépendantistes.

La femme surveille du coin de l’œil les opérations. Avant la Chute, Amal dirigeait une association de défense des droits humains. Après la Chute, il était en première ligne des troubles à l’ordre public. Première ligne, premier en rééducation. Et maintenant… Elle sourit avec satisfaction en le voyant tirer une ligne d’huile jusqu’à la rue, jeter le reste de la bouteille par la fenêtre ouverte, craquer une allumette et la jeter devant lui, le regard éteint.

L’homme à ses pieds gémit en voyant les flammes nettoyer sa maison de tous les objets de contrebande qu’il a cachés, refusant d’admettre que dans trois mois, il sera comme tous les autres. Comme Amal.

Docile.

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