On a tous entendu parler du ministre qui a sorti un livre, et de l’extrait qui a fuité (issu des commentaires d’Amazon) à propos de l’anus d’une femme. Bon, d’accord, c’est une scène de cul. Bon, d’accord, c’est un ministre qui a écrit ça. Bon, d’accord, c’est affreusement plat, insipide, sexiste et dégradant. Pas tellement dans le fait d’écrire de l’érotique, mais de reproduire avec des mots un porno bas de gamme, tellement c’est… désolée, cher auteur, mais je ne vois qu’un mot pour décrire cette scène digne de Youporn : nul.
Mais l’auteur a gentiment et à raison répliqué : lisez le livre. Certes, avant de critiquer ouvertement un extrait choisi, lisons le livre. Je n’ai pas lu le livre, pas en entier du moins. Dès les premiers paragraphes, je me serais lavée les yeux à l’acide plutôt que de le lire en entier. Je comprends donc le hashtag #EcrisCommeBruno, qui devrait plutôt s’appeler #NEcrisJamaisCommeBruno, voire même : #MemeSousLaTortureNEcrisJamaisCommeBruno.
Bien entendu, vous, chers lecteurs, vous n’avez pas lu le livre. Vous n’avez au mieux lu que l’extrait qui a circulé, et vous vous êtes certainement tapé la tête contre les murs avant de vous laver les yeux à la Javel. Mais si vous voulez comprendre de quoi je parle, voici les premiers mots, l’incipit, la première phrase censée appâter le chaland :
« Fugue américaine ou Horowitz à La Havane », tel est le titre (et son sous-titre trompeur) sous lequel arrivèrent à mon domicile privé de Manhattan, par une matinée ensoleillée quoique brumeuse de juin 2019, les pages qui suivent, rédigées dans les derniers jours de sa vie par mon oncle Oskar.
Fugue américaine, Bruno Le Maire
Quelques défauts, en quelques mots. Explication du titre et du contenu du roman dès les premiers mots. Redondance : domicile privé (qui a un domicile public ?). Absurdité : une matinée à la fois ensoleillée et brumeuse, en juin en plus ? Cliché : début qui commence par une lettre.
Bon, me suis-je alors dit, ayant tout de même l’esprit ouvert par mes nombreuses et improbables lectures, voyons quand même la suite.
Il avait alors quatre-vingt-quatorze ans : joli exploit. Dans la famille Wertheimer, on meurt tôt et par accident, ou très tard. Pas de demi-mesure.
Fugue américaine, Bruno Le Maire
Fin du premier paragraphe. Voilà. Ensuite, ça glose platement pendant des pages et des pages en insérant ponctuellement de l’anglais, de l’allemand et de l’italien – ne peut être intellectuellement reconnu que le polyglotte, hein. Ça glose pour ne rien raconter du tout, décrire des moments totalement inutiles, faire des métaphores aberrantes et ressasser des clichés.
Bref. Je me suis arrêtée à la page 28 parce que ma patience a des limites, de même que ma résistance à la douleur. Sur la base de ces quelques pages (et même si on me payait, je n’en lirais pas une de plus), je me contenterai de ces quelques conseils.
Cher auteur, restez ministre : que j’admire ou que je méprise votre travail au ministère, rien ne peut être pire que vous savoir écrivain. Chers lecteurs, épargnez vos yeux et votre compte bancaire : ne lisez pas ce roman. Vous pouvez l’offrir à quelqu’un que vous détestez, il comprendra le geste mieux que si vous lui aviez offert un cactus de la taille d’un poney. Et surtout, chers (autres) auteurs, souvenez-vous de ce que votre tante Hortense a dit : même sous la torture, n’écrivez jamais comme Bruno.
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