• #154 Les sciences de la collaboration

    Depuis que nous sommes arrivés dans ce monde, je me demande quel est le lien entre le mec que Félix a buté et Ernest Jacquellin, le fondateur des sciences de la coopération. D’après IO, mon intelligence artificielle, et sa base de données, Ernest Jacquellin a vécu de 1739 à 1798 et a développé l’idée que là où l’individu seul ne peut réussir, le groupe le peut parfois.

    C’est à son époque que l’Histoire telle que ce monde la connaît, et l’Histoire telle que IO me la raconte, divergent. Dans l’Histoire telle que je la connais, Jacquellin sort sa Théorie de la Coopération entre les Hommes, et les bienfaits que chacun en retirera en 1773. En 1778, Louis XVI convoque les Etats généraux, alors que la paix peut encore être préservée à condition de rassembler des capacités diverses ; dans ce monde, il attendra le dernier moment, en 1788.

    Sa réaction aux conclusions des Etats généraux – une monarchie constitutionnelle – est également différente : d’un côté, il l’encourage, de l’autre, il va chercher à l’empêcher. Dans mon monde, la monarchie a perduré jusqu’au début du XIXe siècle, après une période de paix en Europe qui aura duré 80 ans, puis a été transformée en une démocratie collaborative, régime qui n’existe pas dans ce monde.

    Ici, après avoir coupé la tête du Roi, ils ont enchaîné des régimes politiques qui reproduisent toujours le même schéma : un chef soutenu par une élite – politique ou non – et un groupe issu de cette même élite. Ils ont enchaîné des régimes ayant une faible capacité de production, naturellement belliqueux à cause de la colère de ces dirigeants devenus mégalomanes avec leur pouvoir.

    Les sciences de la collaboration sont des sciences sociales : elles cherchent à analyser comment obtenir une solution à un problème complexe, en ne s’appuyant que sur le partage de nombreuses informations simples et déjà existantes. C’est-à-dire, pour schématiser avec un jeu très connu des enfants, l’énigme de la corde : un enfant a une corde, un autre un crayon, le troisième une règle, aucun ne peut utiliser le matériel de l’autre, mais ils doivent déterminer la longueur de la corde.

    En l’occurrence, cette énigme ne peut se résoudre qu’avec au moins 3 joueurs muni des 3 éléments de base : la corde à mesurer, la règle déterminant l’échelle et le crayon permettant de reporter la notation. Plus le problème est complexe, et plus le nombre d’éléments de base est important ; et ce sont ces éléments et leurs interactions qui sont analysés.

    Au début, il s’agissait d’analyser les éléments de base humains, mais les sciences de la collaboration ont rapidement évolué vers d’autres éléments de base : éléments de base minéraux, végétaux, animaux, sociaux, éducatifs, technologiques, de communication… L’analyse de ces éléments a garanti dès le XVIIIe siècle une paix durable.

    Nos technologies ont donc évolué en contexte de paix et de prospérité : les premières automobiles sont apparues en 1830 ; les premiers ordinateurs, en 1857 ; l’ordinateur quantique a été opérationnel dès 1882 et la fusion nucléaire était stable en 1892. Et pendant tout ce temps, le principe de collaboration nous interdisait d’exterminer des populations – fussent-elles animales, végétales, minérales – au risque de manquer des éléments de base.

    Ici, ils ont un monde en train d’exploser, ils le savent, ils s’assoient autour d’une table pour en parler… et ils ne font rien.

  • #153 Evanescence

    Le soleil se lève, et avec lui toutes les promesses d’un jour nouveau. Lumière ocre du matin qui pâlit au rythme de l’éveil de nos vies et de la mort des rêves ; insondable clarté des aubes éphémères où tout est encore possible. Mais déjà le soleil est haut, et déjà le quotidien m’étreint.

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  • #152 Point de suspension

    Ne jamais s’arrêter.

    Avancer ou…

  • #151 Projet en cours

    Après y avoir réfléchi quelques jours, je me dis que je vais développer le projet « Mika » sur Wattpad. Pour ceux qui tomberont sur cet article par hasard, il s’agit de l’histoire d’amour entre une bibliothécaire, tueuse à gages à ses heures perdues, et le lieutenant de la Crim chargé de l’arrêter.

    Si j’ai finalement décidé de le développer sur Wattpad, c’est parce que je ne considère pas cette histoire comme un vrai roman. Il y a une vraie histoire, des vrais personnages, une vraie préparation derrière, un vrai sujet qui dépasse le pitch, le même soin de réécriture et de correction que d’habitude, mais sans complexité. Enfin, par rapport à la moyenne de mes textes.

    A ce jour, j’ai déjà 3 chapitres complètement écrits et 2 chapitres en cours d’écriture. Je prévois de publier les 5 premiers chapitres jeudi (9 mars), puis un chapitre tous les vendredis, peut-être deux par semaine.

    Ce seront des chapitres courts, d’environ 500 mots, soit environ 2 heures de préparation / écriture / suppression-réécriture / correction. D’où l’hésitation à en faire deux par semaine, tout en continuant à vous embêter avec mes bêtises ici et en espérant (l’espoir fait vivre) avancer sur mon autre roman (celui où j’ai presque terminé le premier jet – toute la nuance est dans le presque).

    Bref, si vous souhaitez retrouver la version remastérisée de Camille et Damien, ça se fera en suivant > ce lien <.

  • #150 Les Autres

    On est toujours l’Autre de quelqu’un d’Autre.

    On est toujours le con d’un autre con, aussi.

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  • #149 Œdipe (2)

    Je suis montée dans la voiture de mon géniteur. Il a vu ma peur, j’ai vu son sourire des mauvais jours. J’ai attaché ma ceinture, lui non. Deux kilomètres plus loin, j’ai vu le feu passer au rouge et j’ai su qu’il n’aurait pas le temps de s’arrêter. Au ralenti, je l’ai vu appuyer sur la pédale de freins pour faire crisser les pneus, pousser un bref juron contre ces freins qui ne freinaient pas – et pour cause – et tourner le volant vers la droite, pour éviter le flot des autres véhicules.

    J’ai fermé les yeux.

    J’ai entendu un énorme bruit de métal écrasé et j’ai eu mal. Instantanément. La violence du choc m’a propulsée en avant, la ceinture m’a retenue. Côtes cassées. Mon front a heurté le pare-brise défoncé et a été entaillé. Des flots de sang m’ont couvert le visage. Le reste de mon corps, écrasé par l’avant de la voiture, ne pouvait plus bouger.

    J’ai entendu des crissements de pneus, des cris. J’ai ouvert les yeux. L’avant du corps de mon père reposait sur le tableau de bord, la tête de l’autre côté du pare-brise. J’ai essayé d’ouvrir la portière, vainement. Une infirmière à la retraite a rapidement pris les choses en main, donnant des ordres à ceux qui voulaient bien aider. Appelez les secours, prenez le pouls de l’homme, de la jeune fille, dites-lui de ne pas bouger, demandez son identité, son âge, posez des questions simples.

    Elle a vérifié et confirmé les dires d’un passant paniqué : plus de pouls chez le conducteur. Je me suis mise à pleurer. De terreur, de joie, de soulagement, de culpabilité. Les pensées se bousculaient dans ma tête. Ainsi donc, il était mort et bien mort, pas vrai ? J’allais aller en prison, c’était sûr. C’était fini, plus jamais ma mère ne souffrirait. J’aurais dû mourir avec lui. J’allais sûrement mourir, de toute façon, j’avais tellement mal partout.

    Les pompiers sont arrivés au bout de cinq minutes. Cinq longues minutes. Ils m’ont mis une minerve et ont commencé à découper la tôle des deux côtés en même temps. Le Samu est arrivé à son tour, suivi de la police. J’ai été extraite de la voiture, placée dans une coque rigide. J’étais frigorifiée malgré le soleil déjà chaud de début juin. J’ai entendu le nom d’un hôpital. On m’a installée dans la camionnette de pompiers – le Samu prenait en charge mon père. Je pleurais toujours.

    Un policier est monté avec nous et m’a posé des questions sur l’accident. Pour la première fois, j’ai parlé. J’ai parlé de mon père qui critiquait ma mère, qui la giflait pour un dîner trop cuit ou une chemise mal repassée, qui la poussait contre les murs derrière la porte close de leur chambre, qui se repentait quelque temps et recommençait, encore et encore et encore. Pour la première fois, j’ai aussi parlé de sa façon de me terroriser.

    Pour la première fois ce jour-là, j’ai parlé et j’ai menti.

  • #148 Œdipe (1)

    Mon géniteur n’était pas un homme bien. C’est ce que je me dis, à chaque fois que je reviens et que je m’installe devant sa tombe. C’est mon endroit préféré pour réfléchir à mes dossiers. Je viens avec ma chaise pliante, mon bloc et mon stylo, mes notes et mes photos, et je travaille. Damien ne le sait pas. Damien ne peut pas comprendre.

    Ce n’était pas un homme bien : sa seule bonne action, ça a été de mourir – et encore, il a fallu que je l’aide pour ça. La vérité, c’est que je ne pensais pas que ça serait si simple. Je ne pensais même pas que ça marcherait. J’ai utilisé mes forces et profité de ses faiblesses ; j’ai utilisé mon cerveau et profité de sa violence.

    A la bibliothèque, j’ai facilement trouvé des revues de mécanique expliquant comment changer des freins et comment reconnaître des freins usés. Je n’avais pas beaucoup de temps : sa commande de freins neufs devait arriver en quelques jours. J’ai marché jusqu’à la casse avec mes outils dans mon sac à dos, expliqué au type que je voulais changer mes freins mais qu’avant, j’aurais aimé m’entraîner, et quoi de mieux qu’une casse pour ça ?

    Il avait une fille de mon âge, et il a été enchanté de m’apprendre les gestes, la précision, les astuces en fonction du modèle ; enchanté de savoir qu’au moins une jeune femme serait autonome pour un geste aussi simple. De nos jours… Il m’a même offert un Coca et un paquet de lingettes. Il n’a même pas remarqué que je repartais avec des freins usés. Le soir même, j’ai mis en application ce que j’avais appris.

    Mon père n’a rien remarqué. Il était bien trop occupé à harceler ma mère en faisant le tour de la maison et en lui reprochant tout ce qui allait de travers. J’ai passé le reste de la nuit à me frotter les mains pour en faire disparaître la graisse et le cambouis, et à marcher à l’autre bout de la ville pour jeter les vêtements que j’avais salis.

    Le lendemain, alors que j’allais prendre mon train, il m’a proposé de me déposer. J’ai refusé. Il a insisté. Il était menaçant. Après tout, me suis-je dit, peut-être que ces freins-là n’étaient pas si usés que ça. Après tout, peut-être que des freins usés ne causent pas toujours un accident. J’ai enlacé ma mère, lui ai murmuré que je l’aimais, au cas où je ne reviendrais pas. Je ne voulais pas éveiller les soupçons de mon géniteur, pas alors que mes mains semblaient avoir été pelées à la ponceuse électrique.

    Je suis montée dans sa voiture. Il a vu ma peur, j’ai vu son sourire des mauvais jours. J’ai attaché ma ceinture, lui non. Deux kilomètres plus loin, j’ai vu le feu passer au rouge et j’ai su qu’il n’aurait pas le temps de s’arrêter. Au ralenti, je l’ai vu appuyer sur la pédale de freins pour faire crisser les pneus, pousser un bref juron contre ces freins qui ne freinaient pas – et pour cause – et tourner le volant vers la droite, pour éviter le flot des autres véhicules.

    J’ai fermé les yeux.

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