• #140 Littérature de merde

    Littérature de merde : écrits qu’on ne trouve pas dans les Temples du Savoir (librairies, bibliothèques) ; littérature dont on ne dira pas à quelqu’un qu’on veut impressionner « oh, d’ailleurs, j’ai découvert cet auteur, il faudrait que tu le lises » ; textes qu’on ne se cache pas forcément de lire, mais dont on ne se vante pas non plus ; littérature sans critique littéraire (on ne critique que ce qui est digne d’une critique).

    Exemples : textes Wattpad ou équivalents, webtoons, fan fictions, billets de blog.

  • #139 La part sombre

    Je sais ce que vous pensez. Vous pensez que, parce que je tue des gens pour de l’argent, je suis un monstre. Parfois, moi aussi je le pense. Au début surtout, je me promettais, à chaque fois, que ce serait la dernière. Et à chaque fois, je recommençais.

    Je me suis trouvé beaucoup d’excuses. Je me suis dit que je faisais ça pour ma mère, pour qu’elle ne manque de rien, pour lui offrir de belles croisières au soleil et des thalassos qui la feraient sortir de sa dépression. C’est aussi moi qui prends en charge ses séances de psy, moi encore qui fais venir la femme de ménage pour qu’elle ne vive pas dans un taudis, moi toujours qui règle les factures des menues ou grandes réparations de la maison où j’ai grandi.

    Je me suis dit que je le faisais parce que mes clients sont des abrutis capables de mettre mes contrats dans un fauteuil roulant ou dans un lit d’hôpital, à souffrir pendant des années, au lieu de finir proprement le travail. Je me suis dit que je leur rendais service, et qu’aussi longtemps que des gens comme eux existeraient, les gens comme moi survivraient.

    Je me suis demandé si j’y prenais du plaisir, et pas vraiment en fait. Ça m’est assez indifférent. Je prends du plaisir à lire, à dîner avec Damien, à regarder un film avec lui. Tuer, non. C’est juste une interminable liste de choses à vérifier pour être sûre que les vivants la bouclent, que les accidentés le restent et que les homicidés n’amènent pas les poulets jusqu’à moi. C’est fastidieux.

    Je suis peut-être un monstre, et c’est sûr que si la police m’arrête, les journaux se délecteront des détails sordides de ma vie. J’aurai sans doute le temps d’écrire mon histoire, en prison. Ce ne sera sûrement pas aussi rentable, mais ça satisfera la fascination des foules pour le glauque et l’atroce. Vous aussi, vous lirez mon autobiographie, parce que vous aussi, vous avez cette part sombre qu’il faut nourrir.

    La seule différence entre vous et moi, c’est que moi, je l’assume.

  • #138 5 thèses extraterrestres

    Planète CY-EVR-103 : 100 révolutions d’observation des bipèdes et de leurs interactions avec le cosmos.

    La richesse élémentaire sur la planète CY-EVR-103 : exemple du silicium.

    Propositions de régulations de l’espèce bipède, dite humanité, et méthodes de nettoyage de l’environnement interstellaire de la planète CY-EVR-103, dite Terre.

    Défense de la planète CY-EVR-103 : que peuvent les bipèdes contre l’Alliance ?

    Données statistiques et réflexion probabilitaire d’une guerre intersidérale avec les peuples autochtones de la planète CY-EVR-103, au regard de leurs évolutions technologiques des 250 dernières révolutions.

  • #137 Le retour de Mika

    Comprenez-moi. Ce caïd me proposait 200 000 euros pour m’occuper de sa balance. Par principe, j’ai dit non, que je n’avais plus ces méthodes. Il m’a proposé 300 000. J’ai redit non. A 500 000 euros et sous mes conditions, j’ai accepté. Ça créera un précédent, le genre de précédent qui veut que, si Mika affiche publiquement un homicide, le contrat vaut au moins un demi-million.

    J’ai facilement attiré l’attention de mon contrat avec de belles photos d’une escort engagée pour l’occasion. Une nuit, l’escort lui a donné rendez-vous dans un hôtel. Il est ressorti en souriant à la caméra de vidéosurveillance en face de l’hôtel, s’est assis dans sa voiture et a eu une piqûre de GHB.

    Après l’avoir ramené à mon bureau, je l’ai soigneusement ligoté, bâillonné, masqué. J’ai tendu mes bâches sur le sol, attendu 12 heures que le GHB se dissipe de son sang, puis je l’ai égorgé. En attendant la nuit, j’ai fait du nettoyage et préparé un message à l’attention de Damien. Ça faisait partie de mes conditions : signer l’homicide. Après, il ne me restait qu’à déposer mon colis exsangue au point 77-G.


    Pour un message, c’était un message. J’ai reconnu tout de suite le cactus et la méthode. Ouverture propre de la carotide par un geste de gauche à droite sur environ 7 centimètres, fait avec un couteau de cuisine Ikéa neuf trouvé à proximité immédiate du corps. Corps déplacé, on ne saura jamais d’où, et déposé sur du béton, donc sans empreinte, dans un endroit peu passant mais où des habitués promènent toujours leur chien ou font leur jogging avant 7 heures, permettant d’assurer sa découverte et la publicité qui va avec.

    Le cactus dansant et chantant, le jouet pour enfant, était posé à côté du couteau, avec une carte : « Passez le bonjour à Damien Froissard de ma part. Mika. » Les collègues m’ont vite trouvé, les journalistes ont fait le rapprochement avec le dernier article, la commissaire m’a accompagné. Elle a tout fait envoyer au labo, même si l’ADN de Mika n’est toujours pas fiché.

    Je le croyais mort, ou en taule pour autre chose. Il a dû sortir, ou il s’est fait oublier avec la publicité des médias. Il joue au chat et à la souris, ça devient personnel. J’aime pas ça, ça met Camille en danger. Heureusement qu’elle est partie quelques jours pour un salon du livre, au moins elle sera pas au milieu de ce merdier.

  • #136 Vivre avec un flic

    Contrairement à ce que je redoutais, la vie commune avec Poulet-en-chef est plutôt agréable. Il travaille 12 heures par jour et est régulièrement d’astreinte le reste du temps. Pour ce qui est de mes activités extra-professionnelles, je lui prépare une tisane magique et, s’il se réveille, je suis une insomniaque tarée, qui se promène dans les rues glaciales à trois heures du matin pour trouver le sommeil.

    La première fois que je lui ai présenté cette excuse, il m’a fait suivre pendant trois semaines. Finalement, la surveillance a pris fin lorsque son collègue a compris qu’il ne trouverait rien. Il ne risquait pas de trouver quoi que ce soit, je l’ai repéré en rentrant du travail le lendemain.

    J’ai suivi ma routine officielle. Trois semaines, c’est long, mais ça a rassuré Poulet-en-chef : j’ai une vie aussi chiante qu’elle en a l’air. Je prends mon thé sur le balcon, un livre à la main. Une demi-heure plus tard, je sors, les écouteurs aux oreilles, pour aller à la bibliothèque, en faisant parfois une escale par la boulangerie pour une douceur. Quand je ressors le soir, je marche une heure pour faire le tour des boîtes à livres du quartier, et je glisse mon butin dans un filet à provisions.

    Le jeudi soir, je fais le marché. Je mange toujours une barquette de framboises en cachette, même quand ce n’est pas la saison. J’achète aussi un kilo de pommes, d’oranges ou de bananes que je distribue aux sans-abris que je croise sur le chemin du retour. Le vendredi soir, je fais le ménage. Je descends les poubelles, puis les déchets recyclables, puis les verres.


    La première fois que Camille est sortie au milieu de la nuit après m’avoir fait boire une de ses tisanes somnifères, j’étais persuadé qu’elle était allée retrouver un amant. Ce n’était probablement pas la première fois, d’ailleurs, ses tisanes sont redoutablement efficaces. C’était vraiment con, pour une fille aussi brillante, vu que je bosse au moins trois nuits par semaine et la moitié des week-ends.

    Je l’ai faite suivre par un collègue qui m’en devait une. En-dehors de sa passion coupable pour les framboises et de ses vols de bouquins dans les boîtes à livres, j’ai juste eu honte d’avoir douté d’elle. C’est le genre de fille qui achète des fruits juste pour les donner aux SDF, qui aide les jeunes mamans avec leurs poussettes dans le métro et qui change de livre tous les jours.

    Elle n’a pas d’amant, elle a juste des souvenirs douloureux qui l’empêchent de dormir et qu’elle ne veut pas anesthésier avec ses plantes. La faire surveiller, ça fait juste de moi l’horrible type possessif et jaloux. Avec le père qu’elle a eu, c’est pas glorieux.

  • #135 Rêve et cauchemar

    Certains jours, je me demande ce qui peut bien se passer dans ma tête, pour qu’une nuit je fasse un cauchemar d’attaque de zombies, et que le lendemain ça soit une exploration fluviale dans un paysage paradisiaque.

  • #134 Et si j’en faisais un roman ?

    Lorsqu’on écrit autant que moi, c’est-à-dire… eh bien, toutes les pages de ce blog sont suffisamment explicites, je crois, il arrive toujours un moment où une idée germe, se met à prendre de la place et devient obsessionnelle. De là à se poser la question « et si j’en faisais un roman ? » il n’y a qu’un pas qu’on franchit d’autant plus facilement que le roman en cours enchaîne les complications.

    Le problème, c’est qu’il y a tout un monde entre l’idée devenue obsessionnelle et en faire un roman. A ce stade, on a déjà exclu, en se faisant du mal au passage, les idées qui s’essoufflent naturellement. Elles sont plus nombreuses que ce qu’on croit. L’idée vraiment obsessionnelle dure. Des mois durant, on prend plaisir à jouer avec, à l’inventer, avant de sauter le pas. Perdu pour perdu, hein.

    Je disais donc, il y a tout un monde entre l’idée et le roman. Quand il ne s’agit que de textes courts de 300 mots, je peux me permettre, et je me permets, de ne même pas nommer mes personnages, qu’ils ne soient qu’un concept vaguement défini. Lorsqu’il y a 300 pages à écrire, il faudra les écrire, et une bonne idée, même une excellente idée, ne suffisent pas à enrichir un monde.

    C’est ce monde-là qu’il faut créer. Alors, quand je me dis « et si j’en faisais un roman ? », un second filtre vient s’ajouter au premier : « est-ce que j’ai vraiment envie de préparer ce roman ? ».

    Nous y voilà.

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