Hortense Merisier

Ecriture quotidienne, textes et courtes nouvelles

#562 L’apprentie sorcière (1)


Livres ouverts

La première fois que Jeanne entra chez la sorcière, elle fut éblouie par des centaines de livres qui couvraient les murs et s’entassaient dans tous les coins, la lumière chatoyante de lampes à huile et du soleil qui perçait par d’habiles fenêtres installées dans le plafond. Puis, l’enfant se souvint des paroles effrayantes de la sorcière et se tassa dans le coin le plus obscur de la pièce, en espérant passer inaperçue.

« Tu sais lire ? demanda la sorcière. J’imagine que non, c’est pas ton père qui t’aurait appris.

— Vous allez vraiment me noyer ou me vendre ?

— Bien sûr que non. Je vais t’instruire. Dès demain, tu apprendras à lire. Je t’apprendrai aussi à écrire et à compter, à observer les étoiles, à trouver à manger dans la forêt et à soigner les animaux. Et des tas d’autres choses. Quand tu sauras les bases, tu m’assisteras et, quand tu seras prête, tu deviendras sorcière à ma place. En-dehors de la solitude, la vie d’une sorcière n’est pas mauvaise. »

L’enfant tendit la main vers un épais volume de cuir vert.

« Ne touche pas à ça avec tes mains crasseuses ! A partir de maintenant, tu devras avoir une hygiène irréprochable. Viens avec moi, je vais te montrer. »

La sorcière accompagna l’enfant jusqu’au puits, derrière la maison. Elle lui montra le système de triple poulie en lui expliquant qu’avec ça, l’eau était trois fois moins lourde. Jeanne, qui peinait toujours à tirer l’eau au village, s’attirant les foudres de son père en revenant avec des seaux à demi pleins, s’émerveilla devant un seau entièrement rempli et qui lui avait semblé bien plus léger que d’habitude.

Puis, la sorcière lui montra comment elle filtrait l’eau dans une cuve. Elle lui expliqua que le filtre était composé d’une couche de laine, d’une couche de charbon et d’une couche de sable, à changer régulièrement. L’eau à utiliser était dans le récipient en-dessous, et était aussi limpide que l’eau d’un ruisseau. Jeanne hésitait presque à se laver avec une eau aussi belle.

« Pour te laver, tu as besoin de deux bassines : une bassine pour mouiller tes mains et ton visage et enlever la crasse avec du savon, et une pour rincer. Mets l’eau de côté pour les latrines. Tu te laveras les mains et le visage tous les matins au réveil. Tu dois garder les mains propres : lave-les au moins avant chaque repas et avant chaque leçon. Pour le bain, j’ai une cuve spéciale, on fera bouillir de l’eau pour que ça soit chaud, tu verras, c’est très agréable. »

L’enfant écoutait attentivement et leva vers la sorcière un regard insondable, plein de questions qu’elle n’osait pas poser.

« Tu te demandes pourquoi c’est important de rester propre ? C’est parce que tes mains sont pleines de mauvais esprits. Lorsque tu sauras lire et qu’on se plongera dans la médecine, tu apprendras qu’il y a différents types de mauvais esprits, mais qu’ils ont tous un point commun : ils rendent malade. Lorsque tu te laves, tu chasses ces mauvais esprits. »

L’enfant observa ses mains avec attention, espérant y trouver une trace de ces esprits, et la sorcière éclata de rire.

« Ces esprits-là sont invisibles. J’ai bien essayé de trouver un vitrier qui puisse me fabriquer une machine à voir les mauvais esprits, mais ils ne savent plus faire ces choses-là. Trop précis, trop cher. Je te montrerai dans les livres. Enfin, pas tout de suite, tu as d’autres choses à apprendre avant. Mais on va commencer par te remplumer, lave-toi les mains pendant que je te prépare quelque chose à manger. »

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