En nous voyant menottés l’un à l’autre, l’employé d’accueil eut un petit rire :
« Vous avez besoin d’aide ?
— Volontiers.
— Ça vous coûtera un jeton.
— On n’en a plus, mentit Théo. Vous ne voudriez pas nous aider gratuitement ?
— Vous allez devoir vous débrouiller. Je peux faire autre chose pour rendre votre séjour plus agréable ?
— Oui, nous voudrions remercier le chef cuisinier, la nourriture est excellente.
— Vous savez que si vous l’interrogez sur l’enquête, il vous demandera un jeton ?
— Ce n’est pas le sujet, insista Théo, je voudrais juste le remercier pour sa cuisine. Où pouvons-nous le trouver ?
— Il est probablement dans sa chambre. Lorsque vous êtes face à la cuisine, c’est le bâtiment de gauche, il y a une porte verte. Deuxième étage, chambre 204. L’escalier est un peu étroit, vous devriez peut-être attendre…
— On va se débrouiller. »
Les chambres des employés étaient là où on nous les avait indiquées. Une petite plaque en métal indiquait le numéro de la chambre. La 204 était la dernière, au bout du couloir. Il était probable que la chambre de Pamela se trouve dans ce bâtiment, mais il faudrait abandonner une option : interroger le cuisinier, fouiller la chambre de Pamela ou être libérés. Nous espérions que le mensonge du cuisinier nous en apprendrait plus.
« Tu penses à la même chose que moi ?
— Oui, fis-je en frappant. On va lui demander de nous indiquer le chemin.
— Qu’est-ce que vous voulez ? Oh. (Il nous avait reconnus.) Oh ! (Il venait de voir les menottes.)
— On a des questions. »
Il tendit la main et Théo y plaça un jeton. Il ne nous en restait qu’un. Il s’effaça pour nous laisser entrer et installa deux tabourets pliables en face de son bureau. Des livres étaient ouverts, d’autres étaient alignés sur des étagères branlantes aux murs. J’en connaissais certains : Mariama me les avait installés sur ma tablette pour que j’apprenne les principes du management en entreprise. C’était étrange qu’un cuisinier s’intéresse à ces choses-là.
« Que faisiez-vous, à l’instant ?
— Je… Je… J’étudiais. Je passe un certificat de management, les épreuves sont dans un mois. »
Théo me lança un regard intrigué mais dut sentir que je tenais quelque chose. J’avais moi aussi envisagé de passer ce certificat, mais travailler et étudier en même temps était pratiquement impossible. Où avait-il trouvé le temps ? sans même parler de l’énergie ? Il commençait à travailler à 5 heures, avait une pause de 3 heures le matin et l’après-midi, et ne finissait pas avant 23 heures. Aucun être humain ne pouvait tenir ce rythme tout en passant un certificat aussi difficile. A moins que…
« Vous n’étiez pas là à 5 heures, pas vrai ? C’était quoi, votre petit arrangement ?
— Pamela voulait que je réussisse. C’était une belle personne. Elle voulait que je réussisse alors, tous les matins, elle commençait à préparer la cuisine et quand j’arrivais à 6 heures, je n’avais presque plus rien à faire. A cette heure-là, il n’y a que le cuisinier qui est debout, personne n’aurait pu s’en rendre compte. Et moi, en échange, je m’assurais de sa sécurité.
— Comment ça ? elle était menacée ?
— Vous pouvez pas comprendre, vous avez du pouvoir, personne n’oserait s’en prendre à vous. C’est pas pour vous critiquer, Madame, mais vous savez pas ce qu’on vit.
— Vous n’imaginez pas à quel point je le sais. Il y a encore 6 mois, j’avais un studio de 12 m² et je ne touchais que le salaire de référence. Dites-moi qui la menaçait.
— Son ex. Il a dû la retrouver, je ne sais pas comment.
— Son nom ?
— Frédéric Masson.
— Vous savez à quoi il ressemble ?
— J’ai vu des photos, dans la chambre de Pamela. Brun, une barbe. Il a un physique assez ordinaire, je dois dire. Ce type… (Il marqua une pause et baissa d’un ton.) C’est un monstre. Une fois, il a attaché Pamela une semaine à un radiateur, parce qu’elle était rentrée en retard du travail. C’est là qu’elle a décidé de s’enfuir »
Théo et moi échangeâmes un regard. Nous savions qui avait tué Pamela, pourquoi et comment. Restait à mettre la main sur Frédéric Masson. Le mieux serait d’avoir une photo.
« Où est la chambre de Pamela ?
— Cinq jetons, réclama le cuisinier.
— Je vous en donne zéro, répliqua Théo. Vous nous avez menti, la première fois.
— Cinq.
— On reviendra.
— Quand vous voulez. Bonne journée et amusez-vous bien ! »