Qu’est-ce que la plupart des gens
ne comprennent pas ?

Le mois de mars est toujours celui où je suis le plus dans le jardin. J’aime l’odeur de terre mouillée et la fraîcheur qui règne encore. Un moment de calme et de détente dans mes activités annexes, assez denses en début d’année, et qui reprennent à la fin de l’été. J’imagine qu’au printemps, les gens croient pouvoir tout réparer, et ne réalisent leur erreur qu’après les chaleurs estivales.

Damien est dans le salon, en visio avec ses collègues. Ça fait longtemps que j’ai installé un mouchard sur mon Wi-fi et que j’intercepte toutes leurs conversations, plus par curiosité que par réelle angoisse : ils sont tellement loin de la vérité ! Ils débattent du profil psychologique de Mika. Mika n’a jamais laissé de trace de son identité, sauf quelques unes dont la fiabilité est aujourd’hui remise en question. Ils ont décidé de tout reprendre à zéro : il y a forcément quelque chose qui leur a échappé.

D’après le psy, il s’agirait de quelqu’un qui a du mal à trouver sa place dans la société. Un ancien enfant abandonné ou battu, ou qui aurait subi des sévices sexuels. Devenu adulte, il a un emploi, peut-être même une famille, mais il a ce besoin de réparer les torts qu’il a subi. Ce n’est pas qu’une question d’argent, mais aussi de rendre la violence qu’il a vécue.

« Donc, résume Damien de sa voix claire et chaude, on cherche un homme, qui aurait aujourd’hui entre 35 et 45 ans, qui a subi des violences pendant l’enfance, qui a un travail et qui, le soir, dit à sa femme qu’il va voir un match de foot chez un copain alors qu’il va égorger des gens ?

— Ou une femme. »

La voix qui vient de s’élever est celle de Yamina, une nouvelle de leur équipe. Fraîchement débarquée de l’école de police, d’où elle est sortie major, elle est ceinture noire de judo et ouvertement lesbienne et musulmane pratiquante. Elle est venue dîner plusieurs fois avec les autres. Elle est plus intelligente que les autres – plus objective, aussi.

J’ai interrompu mon geste. Je le reprends quand Damien se lève pour fermer la fenêtre.

« Attends, une femme ? Tu penses qu’une femme peut faire des trucs comme ça ?

— Pourquoi elle ne pourrait pas ? Je veux dire, je suis bien une femme et flic et gaie et musulmane. Pourquoi une femme ne pourrait pas être tueur à gages ? Quand t’épluches des carottes, c’est pas ta bite qui tient le couteau ! Si on part du principe que tous les relevés d’ADN sont bidons, ça peut être n’importe qui. »

Je souris. Voilà qui prend une tournure intéressante.