Hortense Merisier

Ecriture quotidienne, textes et courtes nouvelles

#596 La vicomtesse


Femme avec voile, en fond un château

La renommée de la nouvelle sorcière du Bois Pendu ne tarda pas à se répandre aux villages alentours. Ceux qui n’avaient pas de sorcière envoyaient quelqu’un quérir un remède, un conseil, ou solliciter la sorcière pour qu’elle se déplace. Bientôt, les sorcières de toute la région lui envoyèrent des lettres, certaines pour compléter leur formation ou discuter de patients, d’autres pour échanger des livres, la plupart pour le simple plaisir de lutter contre la solitude par cette correspondance.

Un soir, alors qu’elle répondait à une de ces missives qui lui proposait des échanges de livres, et pour lequel elle avait sélectionné un bel ouvrage de botanique, un chevalier frappa à sa porte. Il ne venait pas pour lui-même, mais pour son maître, un vicomte dont la femme était sur le point d’accoucher. La sorcière le jaugea :

« D’abord, êtes-vous habilité à procéder aux paiements pour votre maître ?

— Oui Madame, répondit-il avec politesse en tirant une bourse de sa poche. Combien voulez-vous ?

— Je ne veux pas d’argent. Je veux un livre. Je le choisirai moi-même dans sa bibliothèque. J’imagine que le vicomte a une bibliothèque ?

— C’est que…

— S’il vous faut son accord, rentrez et interrogez-le. Dites-lui bien que je n’accepterai aucun autre paiement. Un livre de sa bibliothèque, n’importe lequel, choisi par moi.

— Je pourrais vous donner de quoi acheter un livre, même deux. J’ai assez d’argent.

— Certains sont introuvables, ou très difficiles à trouver, ou mettent des mois à me parvenir. Soit j’ai ce que je demande, soit la vicomtesse se passera de mes services. Après tout, que pourrait-il lui arriver ? Des femmes meurent en couche tous les jours, mais j’imagine que ma présence ne servira qu’à la rassurer. »

Le chevalier pâlit et accorda tout ce qu’on lui demandait. Il accepta même de signer une promesse de paiement au nom de son maître. Deux heures plus tard, le dos fourbu par le galop du cheval, la sorcière mit un pied à terre devant le château. Quand elle était enfant, sa mère l’avait amenée, une fois, pour une foire. A présent, ça lui semblait être dans une autre vie.

Elle fut aussitôt menée à la chambre de la vicomtesse. La pièce puait le renfermé, l’encens et le vin. La vicomtesse mourrait d’une infection même si tout se passait bien. Avisant la servante qui semblait la plus dégourdie, la sorcière l’envoya quérir plusieurs bassines, de l’eau bouillante et de l’eau fraîche, des draps propres, une chemise de nuit neuve et des savons.

Elle ouvrit en grand toutes les fenêtres. L’air frais et la bonne odeur de l’été ne pouvaient que faire du bien à la mère et à l’enfant. Elle fit disposer tout ce qu’elle avait demandé autour d’elle, ordonna à la servante de se laver soigneusement les mains jusqu’aux coudes, et renvoya tous les autres. Le vicomte protesta. La sorcière redressa, ôta sa cape et la lui posa sur les bras.

« Vous, vous restez devant la porte. Vous vous assurerez que je ne sois pas dérangée et que toutes les heures, on m’apporte une nouvelle bassine d’eau fraîche et une nouvelle bassine d’eau bouillante. Aucune autre visite. Vicomtesse, à nous. »

Elles commencèrent par changer la vicomtesse et la nettoyer avec un linge mouillé et un peu de savon. Puis, la servante changea les draps. Rassurée de voir son premier accouchement pris en main, la vicomtesse se détendit et se mit même à plaisanter à propos de son époux, qui était bien plus nerveux qu’elle, alors que c’était elle qui allait mettre au monde un petit enfant.

Quelques heures plus tard, la sorcière retournait le nouveau-né sur le ventre et lui tapotait les pieds pour le faire crier. D’abord timides, les pleurs se firent plus forts. Elle chargea la servante de nettoyer délicatement l’enfant, pendant qu’elle-même s’assurait que le placenta était entièrement sorti. Des résidus restés dans l’utérus pouvaient provoquer une infection.

Tout était normal. Elle lui fit quelques dernières recommandations et ouvrit la porte. Le vicomte pleurait de joie.

« Félicitations, vous avez une belle petite fille. La vicomtesse va bien. J’imagine qu’on vous a transmis ma demande ?

— Oui, Kériel va vous accompagner à ma bibliothèque. Kériel, ensuite, vous conduirez Madame aux cuisines pour le petit déjeuner et la raccompagnerez chez elle ? J’imagine que vous devez être épuisée. »

Lorsqu’enfin elle enfourcha de nouveau le cheval de Kériel, la sorcière leva les yeux vers le ciel. Une belle journée d’été commençait. Elle repartait enrichie de bien plus que de l’argent – elle avait trouvé un nouvel exemplaire de Germinal pour remplacer le sien, très usé – et avec la certitude qu’on ferait régulièrement appel à elle, au château.

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