Hortense Merisier

Ecriture quotidienne, textes et courtes nouvelles

#599 La fameuse discussion


Main tenant un coeur en papier

J’avais presque résolu l’affaire. Marcus était le meurtrier de Pamela Rose, un odieux crime de jalousie. Elle l’avait quitté, il l’avait pourchassée, et lorsqu’elle avait refusé ses avances, ils s’étaient battus et elle s’était tuée avec le couteau qu’elle avait elle-même sorti de la cuisine.

Restait à savoir pourquoi j’avais été enfermée dans la chambre de Marcus toute la nuit – après m’avoir bien effrayée, il avait accepté de me détacher à condition que je joue la victime de séquestration. Il y avait quelque chose de bizarre dans cette histoire, dans sa façon d’être toujours sur mon chemin et…

« Il t’a fait du mal ? murmura Théo sans desserrer son étreinte.

— Bien sûr que non, c’est un acteur. C’est lui qui a tué Pamela Rose. Il m’a fallu un moment pour le comprendre, je n’avais pas bien vu leur photo de couple, celle où Pamela porte la clé…

— Mais il vous reste un tas de choses à élucider, répliqua Marcus en disparaissant dans la salle de bain pour s’habiller.

— Il a passé la soirée à me répéter ça : que tant que je n’aurais pas toute la vérité, je ne pourrais pas sortir. Marcus ! Je prends mon plateau ! Merci pour tout !

— A votre service, très chère ! »

Théo obtint de l’employée qu’un deuxième plateau soit amené dans ma chambre. J’avais désespérément besoin de changer de vêtements. Théo me regardait avec un air bizarre, un mélange de soulagement et d’inquiétude. Il finit par me demander si j’étais en couple avec Marcus.

« Ne t’inquiète pas, fis-je à travers la porte de ma salle de bains. Son style, c’est plus toi que moi. Je ne sais toujours pas pourquoi il m’a aussi lourdement draguée, ça n’a aucun sens. »

Ce que Théo répondit ne me parvint tout d’abord pas. Il semblait réfléchir à voix haute. J’enfilai rapidement un sweat propre. En plus de résoudre ce meurtre, il fallait qu’on ait une conversation, une vraie conversation sur nous. Je l’avais compris en discutant avec Marcus. Je n’étais pas sûre de ce que je voulais lui dire, mais la sincérité était essentielle. Etre sincère et écouter sincèrement.

« C’est Killian et Mariama, m’expliqua Théo lorsque j’ouvris la porte. Je suis sûr que c’est eux.

— Eux qui quoi ?

— Qui ont engagé Marcus pour te séduire. Je les ai entendus, ils… ils ont parlé d’un projet pour nous mettre ensemble. Je suppose que Marcus était là pour me rendre jaloux et me pousser à me déclarer. Ils ne pouvaient pas deviner que… que…

— Que je t’avais déjà repoussé. »

Il hocha la tête, sembla hésiter puis répondit avec douceur.

« Emma, mes sentiments n’ont pas changé. Je respecte ta décision, et j’ai vraiment essayé de te considérer juste comme une collègue, mais c’est plus fort que moi. Je t’aime. Je voulais que tu le saches parce que… Je suis le PDG de Dish. Je suis intouchable, mais pas toi. Tu pourrais être la cible de kidnappeurs ou d’un attentat. »

Peut-être que c’était le bon moment, pour cette fameuse discussion.

« Je t’aime, moi aussi. Non, laisse-moi finir, l’interrompis-je quand il voulut faire un geste dans ma direction. Je t’aime depuis longtemps, à vrai dire. Si je t’ai repoussé, c’est parce que… On est très différents. Moi, je suis indépendante et proche des gens, toi tu es… eh bien, comme tu l’as dit, tu es le PDG de Dish. Nos chemins n’étaient pas censés se croiser. Je n’étais qu’une petite assistante logistique, et rien ne nous destinait à nous retrouver tous les deux dans cette salle de réunion.

— Mais on s’est croisés.

— Mais on s’est croisés. Et tu as immédiatement fait un pas vers moi, et moi j’étais terrifiée parce que… (Rester honnête devenait difficile, mais je fis un effort.) Je me sentais minuscule face à toi. Tu as créé Dish, et moi, qu’est-ce que j’ai fait ? Rien. J’avais peur qu’on dise du mal de toi, peur qu’on dise du mal de moi, peur que tu finisses par comprendre que tu faisais une erreur en étant avec moi, et alors…

— Tu aurais tout perdu.

— Pas que moi. On a aidé tellement de personnes. Au travail, ce sont des vrais gens qu’on aide, pas des numéros. Tu te rends compte de la vie qu’on a offerte à Lisa et à son bébé ? Tout le monde compte sur moi et sur mon influence auprès de toi. Eux aussi, ils auraient tout perdu – pire, ils auraient perdu espoir. Et toi, tu aurais fini par perdre la seule chose qui compte pour toi : Dish. Tout ça, c’était insupportable, alors j’ai préféré… J’ai préféré faire comme si je ne partageais pas tes sentiments. »

Il sourit, de ce même sourire qu’il avait parfois en me regardant. Un sourire pensif, qui lui donnait un air de clown triste ou de marin qui regarde passer les trois-mâts depuis le rivage.

« Je t’ai proposé mille fois une solution à tous ces problèmes. S’il te plaît, accepte les actions que je t’ai proposées. Ne les accepte pas comme un cadeau, mais comme un dû, parce que Dish existe autant grâce à toi que grâce à moi. Tu pourras prendre toutes les décisions que tu veux sans avoir besoin de mon accord, et aider tous ces gens même si je m’y oppose. Tu seras intouchable, tu seras mon égale, et ce sera à moi de mériter ton amour jour après jour, pas l’inverse. S’il te plaît. Ça mettrait fin à toutes tes angoisses, et je te le dois. »

Il marqua une pause, le temps de finir son café qui refroidissait, et eut un sourire amusé.

« J’ai consulté mon avocat la première fois que je t’en ai parlé. Le contrat de cession est prêt depuis des mois. Tu recevras ces actions pour service rendu à l’entreprise. Tu n’as que ta signature à mettre en bas du contrat. »

Il tendit la main pour prendre la mienne. Lorsque nos doigts s’enlacèrent, je ressentis cette décharge d’énergie et d’électricité que je ressentais à chaque fois, comme si nos peaux s’aimantaient l’une à l’autre. Il redevenait grave.

« Tu crois toujours que tu n’as aucun mérite ? Mais regarde-toi comme moi je te vois. Ce jour-là, j’aurais dû perdre Dish, mais je t’ai rencontrée. Ça n’aurait jamais dû arriver, peut-être, mais c’est arrivé. Et miraculeusement, je suis tombé sur la seule personne dans toute l’entreprise qui était capable de me dire mes quatre vérités en moins de cinq minutes. Et les employés… c’est à toi qu’ils font confiance, à toi et à personne d’autre. Accepte ces actions pour eux, si tu ne le fais pas pour moi.

— Ça va, j’ai compris. Donne. »

Je tendis la main. Théo s’étouffa avec son jus de fruits et sortit en trombe pour revenir, 23 secondes plus tard, sa tablette à la main. Avant de changer d’avis, je lus le contrat – c’était une augmentation de capital – et apposai ma signature électronique. Il me regarda, les yeux brillants. Ce n’était plus le clown triste, mais le clown joyeux.

« Tu as signé.

— J’ai signé. »

Nos regards étaient fixés l’un à l’autre. Plus rien ne nous empêchait, maintenant, d’être ensemble, si ce n’est la peur de souffrir.

« J’ai signé, répétai-je avec lenteur en tendant une main pour l’attirer vers moi, alors qu’est-ce que tu attends pour m’embrasser ? »

Si vous avez aimé cet article, vous aimerez aussi…


Laisser un commentaire