Hortense Merisier

Ecriture quotidienne, textes et courtes nouvelles

#633 Un acte médical sans importance


Deux cachets

« Donc vous avez deux cachets, à prendre à 24 heures d’intervalle. Le premier tout de suite, le suivant demain, même heure. Pas de sport, pas d’alcool, pas de drogues pendant une semaine. Vous aurez des maux de ventre assez importants pendant quelques heures… vous avez la possibilité de travailler depuis chez vous ? Ça serait peut-être mieux. »

Corinne hocha la tête et prit le flacon qu’on lui tendait. En le levant à hauteur des yeux, elle vit effectivement deux comprimés. Mieux valait vérifier que revenir et subir une nouvelle fois tout ce bazar. Elle avait déjà prévenu son patron qu’elle serait en télétravail jusqu’à la fin de la semaine parce qu’elle n’était pas très en forme.

« Ça va aller ? Vous savez, si vous hésitez, vous pouvez encore attendre trois semaines. Après on passe au curetage, c’est un peu plus envahissant. On a aussi un suivi psychologique gratuit pour accompagner les femmes qui souffrent après un avortement. Voir quelqu’un, ça peut aider à faire son deuil. »

Corinne avait déjà entendu ce discours plusieurs fois. Six, peut-être sept ? Elle ne se souvenait plus exactement. La prise en charge psychologique, c’était récent et ça en disait long sur l’évolution de la société. Sur ce que les gens voulaient que ça fasse à une femme d’avorter : du mal, parce que c’était mal. C’était un deuil, parce qu’on tuait un être humain ou qu’on perdait quelque chose – et évidemment, c’était la responsabilité de la femme, donc sa souffrance à elle.

Elle n’avait jamais vu personne, et n’avait jamais ressenti de perte. Elle se sentait plutôt soulagée, en fait. C’est pour ça qu’elle n’en parlait à personne et qu’elle passait par l’hôpital, où elle pouvait payer en espèces le ticket modérateur : Alain ne comprendrait pas. Personne ne comprendrait. Un enfant, une bénédiction ? Ça ressemblait un peu trop à cette série avec la femme toute en rouge. C’était un monde horrifique.

« Merci, répondit-elle poliment à la sage-femme, j’y penserai. »

Elle accepta avec un sourire le verre d’eau qu’on lui proposait, prit le premier cachet, glissa le flacon avec le deuxième cachet dans son sac à main et programma un rappel pour le lendemain. En sortant de l’hôpital quelques minutes plus tard, encore perturbée par les paroles de la sage-femme, elle s’interrogea sur ce qu’elle ressentait. A vrai dire, ça n’était même pas du soulagement : elle ne ressentait rien du tout.

L’IVG était décidément un acte médical dont on surestimait l’importance.

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Une réponse à « #633 Un acte médical sans importance »

  1. Avatar de kimetmoiblog

    Une femme qui s’assume et cherche à eviter les complications. Bravo

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