Hortense Merisier

Ecriture quotidienne, textes et courtes nouvelles

#557 Ecrire des nouvelles


Personne écrivant à la main

L’écriture d’une nouvelle est un exercice à part. On peut être un⋅e grand⋅e nouvelliste et un⋅e mauvais⋅e romancier⋅e, ou l’inverse, car la nouvelle obéit à des règles qui lui sont propres.

Les principes de la nouvelle

La première règle est : unité de temps, de lieu et d’action. Quand on écrit 5 ou 6 pages, et que ça fait une histoire complète avec début, milieu et fin, on n’a pas le temps de faire l’historique de la guerre entre la Palestine et Israël. On n’a pas le temps de décrire les personnages, leur environnement ou l’action. Il y a donc peu de personnages (voire un seul), peu de lieux (voire un seul), peu de rebondissements (voire un seul) et un seul arc narratif.

On entend parfois qu’apprendre à écrire des nouvelles est un bon exercice avant d’écrire des romans. Personnellement, je ne suis pas d’accord. C’est un bon exercice pour balayer un certain nombre de sujets, surtout si (comme moi) on s’attache à écrire des nouvelles très courtes. Ça affûte le style, ça ouvre de nouvelles perspectives de sujets, mais ça s’arrête là : pas d’arcs narratifs imbriqués, de création d’univers, d’évolution de personnage, de découpage de l’action, de ventre mou à renforcer…

La deuxième règle, c’est que la nouvelle doit avoir une fin originale. Une des nouvelles qui m’a le plus marquée est « L’Intruse » d’Éric-Emmanuel Schmitt. Une femme attend son mari qui doit rentrer d’un voyage professionnel, et une vieille femme apparaît occasionnellement chez elle. Terrifiée, elle finit par appeler la police et on découvre qu’en fait, son mari est mort et elle se voit elle-même dans un miroir : elle a la maladie d’Alzheimer. Alors que le lecteur s’attend à ce qu’on lui explique comment une vieille dame peut s’incruster chez l’héroïne, l’auteur a trouvé la meilleure explication : il n’y a pas d’intruse.

Lorsque j’ai écrit ma nouvelle « La mission 24 », j’ai repris ce ressort d’écriture : la perception de mon héroïne est fausse. La principale différence est que le lecteur n’aurait pas pu deviner en quoi, puisqu’il s’agit de science-fiction et qu’en science-fiction, on peut se permettre des trucs. Alors je n’ai eu de cesse de confirmer, encore et encore, que tout ça n’était matériellement pas possible, et de laisser le lecteur élaborer des hypothèses : folie ? modification de la continuité du temps ?

Expérience personnelle

J’écris des deux. Roman(s) et nouvelle(s). D’autres trucs aussi. De mon point de vue, la grande différence entre la nouvelle et le roman est l’interconnexion. Dans un roman, les arcs narratifs personnels des différents personnages se croisent, se rejoignent ou s’opposent, et ça peut évoluer au cours de l’histoire. Dans une nouvelle, il n’y a qu’un seul arc narratif, donc pas d’interconnexion.

Lorsqu’un auteur commence par écrire des nouvelles, ce sera nécessairement une difficulté, s’il cherche à écrire ensuite un roman. Il faut comprendre que les arcs narratifs ne coexistent pas, ils se croisent. Il ne s’agit pas seulement de raconter successivement la vie de 5 ou 6 personnes, mais bien comment, par ricochets successifs, ces vies évoluent en fonction de leurs interactions.

Le tout avec des personnalités plus riches, un univers développé, plusieurs lieux et/ou époques, des descriptions, une alternance délicate de moments forts et de repos, un découpage en chapitres équilibrés, et un empilement d’unités du récit : à la phrase, au paragraphe, à la scène, au chapitre, au roman.

Ce n’est pas pour autant qu’une nouvelle est un roman « en plus simple ». Au contraire. C’est ce que je pensais quand j’ai commencé à écrire ici. Je me disais : tranquille, j’écris un ou deux paragraphes, ça me fait une histoire courte, incisive, et je passe à la suivante.

Non. Non, non, non. Grave erreur, oubliez ça tout de suite. Encore aujourd’hui, je trouve qu’écrire une nouvelle, même s’il n’y a pas de manège des personnages, de descriptions ou d’univers élaboré, est un exercice plus difficile. Vraiment.

Dans un roman, on a le temps. On met tranquillement en place l’intrigue, on présente ses personnages, leurs vies, leur situation initiale, les enjeux et le dilemme de l’arc narratif principal. Et puis on continue, comme ça, chapitre après chapitre, on déroule les choses sans se presser, on insère d’autres personnages, d’autres points de vue, pour aider le héros à se sortir de la mouise. Et le héros, laborieusement, surmonte chaque obstacle placé sur sa route jusqu’à la victoire. Tranquille.

Dans une nouvelle, on ne déroule pas. On ne prend pas le temps. En deux phrases courtes, il faut avoir présenté le héros, la situation initiale et l’enjeu principal. On n’explique pas, on ne décrit pas, on le jette dans la fosse aux lions en espérant qu’il s’en sorte. On maintient le lecteur en alerte jusqu’à la fin, sans interruption, et on relâche d’un coup la pression.

C’est très dur. Très dur de trouver les mots justes pour aller à l’essentiel, sans se perdre, sans digresser (un peu), sans expliquer (du tout). Il faut élaguer à la hache tout ce qui est superflu, mais seulement ce qui est superflu. Toujours se demander s’il n’y a pas une façon encore plus directe d’aller au cœur du sujet, avec toujours moins de mots et toujours plus d’émotions.

Mais alors, pourquoi est-ce que je continue à écrire des nouvelles ? Bonne question. D’abord, j’aime relever de vrais défis. J’aime aussi balayer de nouveaux sujets, de nouvelles formes. C’est intéressant de manière strictement stylistique : on découvre des façons de dire des trucs de manière un peu rapide, en mode « vas-y ça me soûle, je clos le sujet en deux temps, trois mouvements ».

Même si l’exercice est fondamentalement différent et qu’une nouvelle n’est pas « un roman en plus simple », je les trouve assez complémentaires.

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